Turn my back and disappear
london, september 1983. Debout au centre de la petite pièce, Rose observa les alentours avec satisfaction. Certes, ce n’était pas
parfait — elle avait passé la moitié de l’été à éplucher les annonces de la Gazette et à tenter de contacter les propriétaires en quête de locataires, mais Gemma n’avait eu de cesse de surgir dans son dos, et il avait été terriblement compliqué de cacher à sa sœur ce qu’elle manigançait durant toutes ces semaines. Les visites avaient été un autre type de complication : il lui avait fallu accompagner sa
tutrice à la Librairie, prétendre y aider durant quelques heures, puis prétexter une course pour transplaner à ses points de rendez-vous, à des miles de Pré-au-Lard. A d’autres occasions elle s’était arrangée pour convaincre Gemma de l’accompagner au Chemin de Traverse, avant de simplement profiter des mouvements de foule pour disparaître. A de trop nombreuses reprises, elle était rentrée désappointée : elle avait le malheur d’être née en fin d’août et personne ne prenait le risque de faire affaire avec une mineure ; les regards se faisaient si rapidement suspicieux qu’elle avait consenti à piocher dans sa réserve de polynectar afin d’effectuer directement ses recherches en tant que
Eddie. Cela n’avait toutefois réglé qu’une partie du problème, puisque la majorité des logements entrant dans son budget étaient relativement minables. Celui sur lequel elle avait arrêté son choix était sans doute aucun le meilleur du lot. Le bâtiment lui-même était comparable à une tour branlante, étroite, circulaire, tout en longueur ; ses murs blanchis à la chaux (depuis suffisamment longtemps pour être désormais brunis par le temps) lui conféraient un côté
old fashion et chaleureux. La porte d’entrée de la bâtisse ne fermait pas et grinçait à chaque brise et puisqu’elle occuperait l’avant-dernier étage, la cadette des Fawkes devinait combien la volée d’escaliers à grimper serait pénible au terme d’une longue journée, mais elle avait écarté la question en se disant qu’elle était jeune, dynamique et qu’elle saurait s’y faire, assurément.
L’appartement en lui-même était un studio étriqué, muni d’une demi-cuisine qui lui importait peu, puisqu’elle n’avait aucune intention de l’utiliser : mettre le feu à l’endroit dès la première tentative ne serait sans doute pas bien vu. La raison de son coup de cœur était simple : d’abord, c’était le seul appart à ne pas inclure un
niffleur pilleur en guise de simili animal de compagnie (dans l'un de ceux qu'elle avait vus, elle avait hurlé en voyant ladite bestiole surgir de nulle part, dotée de poils noirs et rats, d'une longue queue rose, un objet non identifié coincé au bout du museau). Et surtout, après avoir enchaîné les visites au sein de logements tous plus sombres et glauques les uns que les autres, souvent en demi sous-sol, la luminosité de celui-ci avait été un soulagement sans nom. Les murs étaient coupés de multiples fenêtres elliptiques qui lui descendaient plus bas que la taille et dont elle touchait à peine le haut en levant les bras ; elles donnaient à l’origine sur le ciel morne de Londres mais, depuis son arrivée, Rose n’avait eu de cesse de tout mettre en ordre afin de s’assurer que son lieu de vie soit à son goût. Ainsi, derrière les voilages qui faisaient office de rideaux s’étiraient des paysages ensorcelés et colorés ; il suffisait d’ouvrir les volets transparents pour accéder à la véritable vue et découvrir ce qui se tramait en contre-bas, sur le Chemin. Les murs avaient gardé leur couleur ivoire d’origine, mais l’agencement à la fois simple et chaleureux de la pièce donnait une toute autre allure à l’endroit. D’aussi haut, la clameur de la foule parvenait à peine à Rose, qui s’assit sur le rebord de la fenêtre pour observer les sorciers, son sourire brillant témoignant de son excitation. «
Gemma, regarde ! » s’exclama-t-elle par automatisme en pointant du doigt un Souffleur de Flammes dont le spectacle émerveillait les patients et lui avait déjà valu un bol regorgeant de mornilles et de gallions. Seul le silence lui répondit et, en regardant mécaniquement par-dessus son épaule, elle fut confrontée à sa solitude de façon tangible, indéniable, pour la première fois depuis qu’elle avait quitté King’s Cross en laissant croire à sa sœur qu’elle avait bel et bien grimpé dans le train menant à Poudlard. Ses commissures s’affaissèrent ; elle eut le réflexe d’enrouler ses bras autour d’elle pour s’accorder un peu de chaleur humaine… mais aussi soudainement qu’elle l’avait assaillie, la mélancolie la quitta pour laisser place à l’agacement.
Non, elle ne commencerait pas à se morfondre à présent qu’elle avait enfin le champ libre pour
agir. Son enfance, de toute façon, était morte en même temps que ses parents, dans ce terrible accident de voiture, et Rose ne comptait pas regarder s’écrouler le reste du monde bien cachée dans les jupons de Gemma, entre deux étagères de livres. Le large miroir qu’elle avait placé au-dessus de son lit pour masquer les éraflures du mur lui renvoya l’image d’une superbe blonde qu’il était encore un peu étrange de voir se refléter à la place de ses traits naturels, mais cette vision lui conféra le regain d’énergie et de détermination dont elle avait besoin. Sans attendre, elle s’attela à récupérer des morceaux de parchemin et à les accrocher un peu partout, afin de se tracer un parcours d’informations.
Eddie Simmons, née en 1958…Changing who I am
hogsmeade, september 1983. Le réveil en forme de vif d’or prit son envol, vrombissant bruyamment pour réveiller sa propriétaire endormie, à l’oreille de laquelle il s’appliqua alors à venir faire claquer ses longues ailes blanches. Bien que chassé à moult reprises par une main rendue maladroite par le sommeil, il revenait aussitôt en chasse, tant et si bien que les mouvements de Rose se firent plus vastes et empressés, impatients et aveugles car toujours irrémédiablement endormis. La douloureuse collision entre son poignet et la petite étagère murale faisant office de chevet, située non loin d’elle, entraîna alors une réaction en chaîne : trois cadres photos qui occupaient l’espace sur la table de petit meuble s’écrasèrent bruyamment au sol, leur chute s’accompagnant d’un tumulte effarant alors que les vitres éclataient au sol. Rose fut réveillée d’un bon et jura grossièrement dans sa barbe inexistante en tâtonnant sous son oreiller pour récupérer sa baguette. En quelques mouvements, les cadres furent de nouveau intacts et retrouvèrent leur place d’origines, clichés mouvants d’une famille qui n’était plus au complet depuis trois ans déjà, mais la jeune femme ne s’arrêta pas pour les contempler. Son réveil indiquait qu’elle n’avait qu’une petite heure devant elle pour se préparer en vitesse et se rendre à Pré-au-Lard et, plus précisément, aux Trois Balais, où elle travaillait en tant que serveuse. Tout fut expédié dans les temps et l’adolescente toujours masquée derrière ses traits caucasiens fut bientôt fin prête, vêtue d’une robe sobre et d’une cape d’automne, son tablier soigneusement plié dans la besace dont elle passa l’anse autour de son cou ; une fois sur place, il lui resterait encore dix minutes pour avaler un peu de thé et un bol de porridge avant de commencer à préparer l’auberge pour l’ouverture. Elle avait contacté diverses échoppes et boutiques à Londres et dans le village sorcier, mais cet emploi était à la fois sa meilleure option — du fait de son manque de diplômes à afficher fièrement et de l’absence tout aussi handicapante d’expérience sur son cv — et l’offre qui la tentait le plus ; ce n’était par ailleurs qu’un temps partiel : elle utilisait ses sous avec parcimonie et il lui restait encore une partie de son héritage. Son poste lui permettait donc simplement d’arrondir ses fins de mois et, surtout, de parfaire sa fausse identité, tandis que son temps libre était entièrement dédié à sa véritable préoccupation : l’Ordre. Juste avant de quitter l’appartement, Rose contempla avec hésitation le
ballon lumineux increvable coincé sous son bureau, ses incisives triturant inconsciemment sa lippe jusqu’à la rougir sous leurs attentions répétées, alors que la tentation d’activer ce mode de communication insoupçonné lui nouait l’estomac.
Si le ballon devient rouge, alors je saurai que tu as besoin de moi, lui avait dit Remus Lupin autrefois, son regard oscillant entre affection et pointe d’exaspération du fait de l’insistance de la gamine qu’elle était alors à maintenir le contact, même une fois qu’il aurait quitté Poudlard.
Mais je te fais confiance pour ne l’utiliser qu’en cas d’urgence Rosie. Juste en cas d’urgence, compris ? Elle avait tenu sa promesse lorsqu’elle était encore au château ; l’avait tenue lorsqu’elle s’était retrouvée livrée à elle-même après sa fugue ; l’avait encore tenue la semaine précédente lorsqu’un sorcier ivre l’avait coincée contre un mur la veille au soir, après la fermeture, dans une ruelle serpentant derrière le pub. Il avait écopé de plus d’un maléfice cuisant et l’indignation avait donné des ailes à Rose mais, une fois l’adrénaline retombée et la chaleur de son appartement retrouvée à la hâte, elle s’était aperçue qu’elle tremblait de tous ses membres. Malgré tout, elle n’avait pas tenté de contacter Remus, parce qu’elle n’avait eu aucune réponse la seule fois où elle s’y était essayée : juste après avoir appris la terrible nouvelle de l’assassinat des Potter. Remus avait simplement… disparu de la circulation.
Elle laissa échapper un soupire en se détournant résolument du ballon, consciente toutefois que la résignation ne durerait qu'un temps avant que son caractère obstiné ne la pousse à repartir en chasse. Sa baguette coincée bien à l’abri des regards, entre les seins agréablement rebondis de son corps d’emprunt, Rose attrapa la bougie argentée qui lui faisait office de portoloin et se laissa emmener jusqu’à la fameuse ruelle de la nuit précédente. L’échine soudain hérissée de frissons lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle ne traîna pas avant de contourner le pub pour accéder à la porte arrière. Loin, au bout de la rue, elle pouvait apercevoir la silhouette de Gemma qui ouvrait elle aussi boutique. «
Hey, Gemma La Morale. Prête pour une mauvaise journée de plus ? » lança-t-elle à la brise qui seule l'entendrait, un demi-sourire mi-sarcastique mi-affectueux au coin de la bouche. Sa sœur aurait dû être une brillante Auror, certainement pas s’étioler derrière son comptoir et ses piles d’ouvrages comme leur père avant elle.
Such a shame. Ce qui avait été la vocation du premier avait été un héritage imposé à la seconde, et Rose était révoltée. Révoltée de voir son aînée se laisser porter par le courant et renoncer à ses rêves, et pire encore : se convaincre qu’ils n’avaient pas eu lieu d’être,
anyway ; qu’elle n’aurait pas été faite pour cette vie-là.
Foutaises. Roses secoua la tête de droite à gauche, dépitée, mais son cœur battant la chamade la poussa à abréger son observation, à se presser de pénétrer dans le pub. Elle se promit de passer à la librairie l’après-midi, au terme de ses heures de travail, et d’orchestrer la
rencontre d'Eddie et de miss Fawkes. Merlin, elle avait eu beau tourner et retourner l’idée dans son esprit les jours précédents, sa culpabilité l’avait empêchée de s’y résoudre. Alors qu’elle saluait sa patronne d’un air radieux, elle se morigéna intérieurement : était-elle une Gryffondor, oui ou non ?
Aujourd’hui, se promit-elle formellement en lançant un coup d’œil de plus par l’une des fenêtres ; Gemma était hors de vue à présent. «
De drôles de rumeurs circulent, ces derniers temps », murmura Rosmerta à son oreille, sur le ton de la confidence, et Rose se retint de sursauter en la trouvant si proche. Tout en entamant la préparation des formules du petit-déjeuner, elle offrit pleinement son attention à la propriétaire. «
De quoi s’agit-il ? » Front plissé en une mimique entre curiosité et sincère inquiétude, timbre doux incitant à la confidence, haut du corps légèrement penché vers la femme en une attitude témoignant d’un intérêt indéniable, Rose était en alerte, prête à trier toute information afin de rejeter celles qui sembleraient hors de propos et de rapporter plus tard, au sein de l’Ordre, ce qui pourrait s’avérer utile. C’était là l’un des avantages à travailler ici : les sorciers anglais avaient un faible pour les Trois Balais et s’y retrouvaient souvent pour s’installer autour de Bièraubeurres (spécialité de la maison) ou de whisky, discutant à tout rompre de tout ce qui se passait à travers le pays. Assurément, s’il arrivait quoi que ce soit, la nouvelle parviendrait jusqu’ici, et Rose serait prête à l’intercepter.
Un raclement de gorge interrompit les chuchotements des deux femmes et la plus jeune se fendit d’une moue pleine d’entrain en se tournant pour faire face au premier client de la journée. Toujours le même depuis un mois, réglé comme une horloge. De fait, ce fut sans hésitation que Rose chantonna : «
Œufs sur le plat, saucisses et pains beurrés ? » Il hocha la tête et se détourna sans un mot ni un regard pour elle, le nez fourré dans les annonces de la Gazette, pour s’installer à sa table habituelle. Elle compatissait à cette position : combien de fois l’avait-elle elle-même adoptée ? Pour un logement d’abord, puis des meubles d’occasion, un emploi… Sitôt le plat promis fut-il prêt, elle contourna le comptoir pour le poser devant l’habitué. «
Toujours pas de résultat ? » demanda-t-elle doucement pour ne pas le braquer : ce type était doté d’un orgueil plus gros que lui. Elle ne savait pas d’où il sortait et comment il s’était débrouillé pour se retrouver à louer une chambre dans une modeste auberge en passant ses journées à entourer des offres, à enchainer (du moins le supposait-elle) visites et entretiens, puis à rentrer maussade et renfrogné, mais il n’était clairement pas dans son élément. Cela se voyait à son port extrêmement droit, à ses gestes gracieux et maîtrisés et à la crispation dédaigneuse de ses traits lorsqu’un soulard envahissait ses 18 mètres avec un souffle trop chargé d’alcool.
Bourge, pensa-t-elle sans pouvoir se retenir de le détailler — parce que son côté guindé n’était pas une raison suffisante pour qu’elle ne se rince pas l’œil. (Dans une autre vie, elle aurait le soir même plongé sous un drap aux côtés de son aînée pour lui raconter avec force gloussements (et détails) à quel point il était bien fait de sa personne et combien son fessier paraissait ferme, parce que derrière les airs sages de Gemma-perfection-Fawkes se cachait une petite perverse qui ne se gênait pas même pour regarder les hommes sous la douche. Mais
damn, ces moments de complicité avaient cessé d’exister après l’accident, lorsque Gem’ s’était prise pour une mère plutôt que pour la grande sœur qu’elle était réellement). Sans surprise, l’homme se raidit à l’entente de sa question, mais répondit tout de même sobrement : «
Pour l’instant, non. Mais je ne désespère pas. » il haussa les épaules, faussement nonchalant, mais elle avait remarqué qu’il payait avec plus d’hésitation ces derniers jours ; le cordon de sa bourse se faisait sans doute de plus en plus serré. Il n’en fallut pas plus pour qu’elle estime de son devoir de fourrer son nez dans cette affaire qui, pourtant, ne la concernait en rien. «
Si je peux me permettre… » Il leva vers elle un regard inquisiteur, mais ennuyé. «
Je suis sûre que la patronne ne serait pas contre une paire de mains supplémentaire. Le pub est toujours bondé et il nous faut cumuler la préparation des boissons et des plats, le service, le ménage, la plonge, sans parler bien sûr de toutes les tâches récurrentes comme l’approvisionnement et — » «
Je n’ai aucune intention de jouer les boniches », claqua-t-il résolument en l’interrompant, livide et visiblement furibond. Choquée par cette réaction aussi vive qu’offensante, Rose s’efforça de rester stoïque en dépit du réflexe qui l’avait presque poussée à reculer d’un pas ; elle pouvait pourtant sentir le rouge lui monter aux joues. Elle ressentait… qu’était-ce donc ? Embarras ? Confusion ? exaspération ? Argh !
elle n’en savait rien. C’était un curieux amalgame, un tourbillon d’émotions sur lesquelles elle était tout simplement incapable de poser des noms, et elle se contenta de se laisser porter par elles, plantant ses poings serrés à s’en blanchir les phalanges sur ses hanches et retournant à l’impudent un regard à la mesure de celui dont il la vrillait. «
Oh mais pardonnez-moi de vous avoir vexé, j’avais cru comprendre que vous étiez en mauvaise posture. J’espère que votre fierté démesurée vous tiendra chaud quand votre réserve de gallions se sera épuisée et que vous vous retrouverez à dormir sous un pont ! » Sur ces mots, Rose posa un verre de jus de citrouille avec tant de force à côté de son plat que le liquide tangua dangereusement à l’orée des bords du récipient. Elle leva le nez — pour lui prouver qu’il n’était pas le seul à pouvoir prendre les gens de haut, bien que son mètre soixante-cinq ne soit pas particulièrement impressionnant — et tourna les talons pour s’en aller dignement… seulement pour se prendre les pieds dans une chaise mal placée. La chute fut amortie par une paire de bras et, écarlate, elle se redressa à toute vitesse en lissant des plis invisibles sur sa tenue, marmonnant au sol ce qui pouvait sonner comme un remerciement avant de battre en retraite. Lorsqu’il la retint par un bras, elle cumula toute la hargne possible dans son rictus pour lui faire entendre qu'elle n’avait pas pour autant oublié qu’il l’avait indirectement traitée de
boniche à l'instant, mais il affichait désormais un air mal à l’aise un peu pincé. «
Navré pour tout à l’heure », souffla-t-il sans la fixer. «
C’est juste que je n’ai pas l’habitude de… »
servir, comprit-elle sans pour autant l’interrompre. S’il n’était pas fichu de s’excuser correctement, elle préférait encore s’arracher une dent plutôt que l’aider. Il semblait plus hésitant que jamais, se massant la nuque d’un air gêné tout en lançant autour de lui des coups d’œil suspicieux, comme si un troll risquait de jaillir de sous une table au moindre instant. «
Mais je ne voulais pas vous offenser. Vous comptiez… » Il se racla la gorge, elle se dandina d’un pied à l’autre en claquant la langue avec agacement, impatiente, et il changea d’angle d’approche. «
— La proposition était sérieuse ? Mrs Rosmerta cherche vraiment un nouvel employé ? » Pas vraiment non. Rose savait qu’elle avait été agréablement satisfaite du duo qu’elles formaient désormais et était réticente à l’idée d’y ajouter une tête de plus, qui risquerait de rompre leur équilibre tout récemment acquis : elle avait même préféré travailler seule des années durant, pour éviter de potentielles mésententes au sein d’une équipe mal assortie. Mais la sunommée « Eddie » n’était présente que la moitié du temps et, en son absence, faire tourner le pub en solo devenait de plus en plus pesant. «
Je ne peux rien vous promettre, mais je peux tenter de la convaincre de vous accorder un essai », concéda-t-elle en s’adoucissant, consciente de combien il prenait sur lui.
Still fighting for peace
london, october 1983. Par pur réflexe, Rose regarda par-dessus son épaule pour s’assurer de ne pas avoir été suivie. Elle avait rendu visite à Gemma aujourd’hui (ce qu’elle évitait tout de même de faire
trop souvent tant l’imbroglio de culpabilité mêlé d'amour et de rancœur qu’elle éprouvait sans cesse dans ces moments-là lui donnait l’impression de frôler la combustion instantanée) et leur discussion (qui se déroulait étonnamment mieux que lorsque Gemma s’adressait à
Eddie plutôt qu’à
Rose) avait été…
well, particulièrement instructive. Sa sœur lui avait lancé un détective aux trousses. Oh elle ne lui en voulait pas pour cela et ne prétendait même pas être droit de le faire, mais ce Tristan Everdeen l’intriguait terriblement. Elle l’avait remarqué depuis longtemps : il était très souvent fourré à la librairie. Et elle pourrait jurer l’avoir surpris à détailler sa sœur avec un peu trop d’attention lorsque cette dernière s’était penchée pour placer des livres sur une étagère basse. Elle ne savait que penser de la relation existant entre Gemma et cet homme et s’était promis de les observer avec attention pour découvrir ce qui se tramait mais… pour ce qui était du rôle de ce
détective, elle était surtout parvenue à mettre un mot sur son ressenti (fait suffisamment rare pour être souligné) :
excitation. Elle connaissait le traqueur tandis que lui la cherchait sous un visage qu’elle n’affichait plus guère, si ce n’était dans l’intimité. C’était jouer avec le feu que de lui tourner autour en le testant, certes. Cependant, Rose n’avait jamais reculé devant le danger.
L’ombre qui la surplomba la tira de ses réflexions et la ramena à l’instant présent : elle était installée sur la terrasse extérieur d’un petit bistrot moldu, en compagnie d’un vétéran de l’Ordre qu’elle tentait depuis des jours de convaincre de rejoindre le mouvement comme il l’avait fait par le passé. «
Gamine, je dois avouer que j’apprécie de voir des jeunots comme toi vouloir faire des pieds et des mains pour la communauté », lâcha-t-il, un brin moqueur, en posant devant elle un immense verre de bière qu’elle repoussa dès qu’il eut tourné le dos une seconde, le nez froncé de dégoût. Ça puait comme un rat mort. A peine eu-t-il retrouvé le confort tout relatif de son siège qu’il engloutit pour sa part quelques gorgées de boisson. «
Trop fort pour toi ? » Et le voilà qui se gaussait en s’apercevant qu’elle ne comptait pas avaler une goutte du détestable breuvage. Rose leva les yeux au ciel. «
Il n’est même pas midi. J’aurais préféré un » — elle se mordit le bout de la langue juste à temps pour ne pas parler de
chocolat chaud —
café », répliqua-t-elle finalement avec un sourire qu’elle savait exquis (la blonde dont elle avait usurpé l’apparence était une bombe et, quant au choix de boisson,
Eddie était supposée être anglo-américaine). «
Mouais. Pour en revenir à notre sujet… » Il se pencha vers elle par-dessus la table et la scruta, critique. Elle sentit que la suite risquait de ne pas lui plaire. «
Si tu veux te rendre utile, trouve-toi un homme, fais-lui des gosses, et si tu as plus d’ambition que ça tu peux toujours tenter ta chance au sein du ministère. Mais courir après le fantôme d’une guerre ? A quoi bon gaspiller ta jeunesse et ton temps pour de telles foutaises, en tant de paix ? »
Espèce de déjection de cafard — trouver un homme et lui pondre une ribambelle de marmots, tu n'as rien trouvé de mieux ? «
Je ne pense pas qu’on puisse parler de paix lorsque le héros d’un peuple et ses moldus se font décimer. », signala-t-elle pour ce qui lui semblait être la millième fois depuis leur première rencontre. Mais cette fois il avait un contre argument, le bougre. «
Ça ne veut rien dire, si ce n’est que notre bon vieux Dumbledore n’est plus ce qu’il était. N’importe quel petit criminel en quête d’attention saurait qu’attaquer des figures emblématiques du système est le meilleur moyen de prendre du galon. » Cette fois, Rose décréta avoir déjà accordé suffisamment de temps et de débats stériles à cet hurluberlu trop aveuglé par la gloire dont il avait écopé au terme de la première guerre. Si battante soit-elle, elle savait reconnaître un cas désespéré lorsqu’elle en voyait un. Aussi se leva-t-elle, plongeant une main dans la poche de son blouson pour en tirer quelques pièces qu’elle laissa sur la table. Pour la bière. «
Quelle chance. Si les figures emblématiques sont les seules cibles, alors vous n’avez rien à craindre : il n’y aurait aucune gloire à affronter un vieux débris, trop occupé à se saouler dès les petites heures du matin pour reconnaître une évidence même s’il se réveillait à côté d’elle. » Elle lui adressa un salut militaire moqueur et tourna les talons sans plus attendre. Quelle perte de temps. Ils avaient besoin de baguettes fermes, de gens courageux prêts à réagir à la menace qui grondait et qui se faisait de plus en plus oppressante. Rose ne pouvait décemment pas comprendre comment des sorciers pouvaient nier la réalité avec une telle obstination.